Le pardon est-il une façon honorable d’assumer la douleur que vous ressentez lorsqu’une personne responsable vous a blessé injustement au plus profond de vous-même ? Ou bien existe-t-il une alternative ?

Faut-il vous figer dans l’injustice d’un événement cruel qui appartient au passé ? Faut-il que votre monde s’arrête tout à coup à ce misérable et irréversible incident de votre histoire personnelle ? Ou bien, êtes-vous prêt à trouver une meilleure voie ? Meilleure que quoi ?

Meilleure que la douleur causée par un souvenir à tout jamais associé à un passé injuste.

Mais supposons que vous refusiez de vivre dans le passé et que vous refusiez également de pardonner.

Une autre option s’offre-t-elle à vous ? Peut-être la vengeance ?

La vengeance est une passion qui vous pousse à rendre à l’autre la pareille. C’est un désir intense de faire souffrir l’autre autant qu’il vous a fait souffrir. Œil pour œil, dent pour dent ! Justice !

Le problème avec la vengeance, c’est qu’elle n’est jamais satisfaite. Le score n’est jamais égal. La balance de la justice n’est jamais rétablie. La réaction en chaine déclenchée par chaque acte de violence enferme aussi bien la victime que son bourreau dans une escalade de souffrances. Et tant qu’une parité est exigée, l’un et l’autre sont prisonniers de cet escalator, un escalator qui ne s’arrête jamais, et dont personne ne peut jamais s’échapper.

Pourquoi les querelles de famille continuent-elles jusqu’à la mort de tous ses membres, ou du moins jusqu’à ce qu’ils soient trop vieux ou trop fatigués pour se battre ? La raison est simple : la peine n’est jamais pesée sur la même balance. La peine que vous m’infligez pèsera toujours plus lourd sur ma balance que sur la vôtre. La peine que je vous inflige vous semblera toujours pire à vous qu’à moi. Les peines infligées et les peines reçues ne s’équilibrent jamais.

Si vous me faites mal et que je me venge de la même manière, je vais peut-être penser que je vous ai rendu ce que vous méritiez, sans plus. Mais vous, vous aurez sans doute l’impression que c’est exagéré. Votre passion pour la justice vous forcera à vous venger de moi, encore plus fort cette fois-ci. Puis viendra mon tour. Y aura-t-il jamais une fin ?

« Œil pour œil » devient « membre pour membre », et, un jour ou l’autre, « vie pour vie ». Quelles que soient nos armes ─ paroles, gourdins, flèches, fusils, bombes, missiles nucléaires ─ la vengeance nous enferme dans une escalade de violence. Gandhi avait raison : si on se mettait tous à suivre le principe « œil pour œil », le monde entier deviendrait aveugle.

Le seul moyen d’en sortir, c’est de pardonner. Le pardon recèle un pouvoir créateur qui nous libère d’un événement passé douloureux, qui nous délivre de ces interminables réactions en chaine, et qui crée une nouvelle situation dans laquelle l’offenseur et l’offensé pourront prendre un nouveau départ.

La vengeance ne fait qu’embourber ses victimes dans un passé douloureux et injuste. Au lieu de se projeter vers un nouvel avenir de relations plus sereines, leur appétit de vengeance les pousse à s’enfoncer toujours plus dans l’éternelle répétition des vieilles injustices. Et tout cela, ne vous en déplaise, au nom de l’équité.

Le pardon brise les liens qui nous tenaient prisonniers des erreurs et des douleurs du passé, et nous ouvre la porte d’un avenir plus beau parmi les possibilités inexplorées de nos lendemains.

Imaginez que vous ne pardonniez jamais, imaginez que chaque fois que vous pensez aux gens qui vous ont fait du tort, vous ressentiez à nouveau de la douleur. Et supposons que vous soyez obsédé par ces pensées. Vous êtes devenu le prisonnier de votre douleur passée ; vous êtes enfermé dans une salle de torture que vous avez créée pour vous même. Le temps devrait avoir tiré un trait sur votre peine, mais vous la maintenez en vie pour qu’elle ne cesse de vous fouetter, de vous écorcher.

Votre mémoire rejoue les scènes qui vous ont fait souffrir ─ comme une vidéo à l’intérieur de votre esprit rejouant en boucle vos anciens rendez-vous avec la souffrance. Vous ne pouvez l’éteindre. Vous êtes branchée sur elle comme un accro à la souffrance ; vous devenez dépendant de vos douloureux souvenirs. Et à chaque fois que votre mémoire fait tourner la cassette, vous prenez un nouveau coup de fouet. Vous ne pourriez être plus injuste envers vous-même.

La seule façon de guérir la douleur est de pardonner à la personne qui vous a fait du tort. Le pardon met un terme à la répétition de la souffrance. Le pardon guérit votre mémoire car elle lui donne une nouvelle vision.

En libérant celui qui vous a fait souffrir du tort qu’il vous a fait, vous extirpez une tumeur maligne du fond de vous-même.

Vous rendez la liberté à un prisonnier, pour découvrir qu’en fin de compte, le vrai prisonnier, c’était vous.